02 novembre 2006

La démocratie est un mensonge..

Entretien avec José Saramago

Par Didier Jacob dans Le Nouvel Observateur - 2190 - 26/10/2006

« La démocratie est un mensonge »

Dans son nouveau roman, « la Lucidité », le grand écrivain portugais, prix Nobel de littérature 1998, dénonce l’imposture démocratique

Au début, c’est la pluie, pensent-ils, qui dissuade les gens d’aller voter. Lors d’élections municipales organisées dans un pays qui ressemble au Portugal sans être ainsi nommé, le taux d’abstention semble en effet devoir battre tous les records, quand les premiers électeurs font enfin leur apparition dans les bureaux de vote. Le gouvernement, rasséréné, ignore encore que ces électeurs s’apprêtent à voter blanc, à plus de 70%. Blanc, chez Saramago, c’est la couleur de la lucidité, du rejet, du ras-le-bol civilement exprimé. Le grand écrivain portugais raconte, dans cette brillantissime parabole sur l’imposture démocratique, la réaction du gouvernement devant ces résultats stupéfiants : il quitte la capitale que l’armée assiège, organise un « repli multiple » des services publics, charge un groupe de nutritionnistes d’élaborer « un menu de plats minimaux qui, sans affamer la population, lui ferait sentir qu’un état de siège porté à ses conséquences ultimes n’était pas exactement des vacances à la plage ». Que se passerait-il si les citoyens d’un pays refusaient un jour la donne démocratique, laquelle est pour Saramago un leurre et une façade ? Réponse dans ce conte étincelant d’un Nobel en colère.

Le Nouvel Observateur. - Votre roman,« la Lucidité », est une critique acerbe de nos gouvernements. Qu’est-ce qui vous irrite dans le système actuel?

José Saramago. -Les démocraties occidentales ne sont que les façades politiques du pouvoir économique. Une façade, avec des couleurs, des drapeaux, des discours interminables sur la démocratie. Nous vivons une époque où nous pouvons discuter de tout. A une exception près : la démocratie. Elle est là, c’est une donnée acquise. Ne touchez pas, comme dans les musées. Or il faudrait engager un débat, un grand débat mondial, avant qu’il ne soit trop tard, sur la démocratie.

N. O. - En quoi, selon vous, les démocraties ne sont-elles pas démocratiques?

J. Saramago . -Il y a longtemps, on parlait du plein emploi. C’était dans les programmes de tous les partis. Aujourd’hui, c’est fini. Nous vivons dans une sorte d’anesthésie sociale généralisée. Quand on arrive à 40 ans, et qu’on vous dit, c’est fini pour vous, qu’est-ce que ça veut dire ? Où va l’argent ? On est passé de cet idéal, de cette utopie du plein emploi, à l’emploi précaire. Qui a décidé cette transformation brutale dans les rapports de la personne avec le droit au travail ? Un gouvernement ? Le gouvernement français, italien, portugais ? Non, bien sûr. C’est le pouvoir économique. Je sais que cette expression peut paraître archaïque. Et pourtant, c’est le pouvoir économique qui contrôle le monde. C’est le pouvoir économique qui a donné aux gouvernements cette idée que l’économie devait avoir les mains libres, et que le plein emploi était un obstacle. Mais personne ne se souvient du moment où on est passé de l’idéal du plein emploi à cette donnée obligée de l’emploi précaire. C’est un chef-d’oeuvre dans l’art du tour de passe-passe.

N. O. - Vous appelez les gens à voter blanc?

J. Saramago . -Non. Je ne fais pas cette propagande-là. Ce que je dis, c’est que on peut choisir de voter pour un parti, on peut rester chez soi, on peut rayer son vote ou on peut voter blanc. L’abstention, c’est la solution la plus facile, mais ce n’est guère significatif. Tandis que les gens qui font l’effort d’aller voter peuvent, par le vote blanc, exprimer d’une manière claire un mécontentement. Et dire qu’ils en ont marre de voter depuis si longtemps sans voir, dans les faits, de changement. Même 20% de votes blancs pousseraient les gens à réfléchir. Vous savez, je ne fais pas mystère de mes convictions, je suis communiste. On me l’a souvent reproché, comme si j’étais un ennemi de la démocratie. C’est absurde. Je suis, au contraire, un communiste qui dit : sauvons la démocratie. Car ce que nous avons là, que nous appelons démocratie, n’est qu’un simulacre. On se rit des pauvres dans les cabinets du pouvoir. On rigole du troupeau que nous sommes. Il est temps de faire quelque chose.

N. O. - Le communisme n’a pas non plus changé les choses...

J. Saramago. -Le communisme ? Ça n’a jamais existé. On ne sait pas ce que c’est. Il y a des idéaux, des principes. Mais ces principes ont été dénaturés, dès lors qu’ils ont été mis en action. On ne peut donc pas dire que le communisme est ceci ou cela, car la vérité, c’est qu’on n’en sait rien. En Union soviétique, le communisme n’était rien d’autre qu’un capitalisme d’Etat. Et la Chine s’y met aussi, qui suit la même voie, avec la complicité des puissances occidentales, si démocratiques, qui applaudissent et disent bravo, bravo. C’est dégoûtant.

N. O. - Cette ouverture économique ne peut, selon vous, mener la Chine vers plus de démocratie?

J. Saramago. -Ouverture ? Mais les démocraties sont gérées par des pouvoirs qui ne sont pas démocratiques. Le Fonds monétaire international est-il une institution démocratique ? non. L’Organisation mondiale du Commerce ? non. Ce sont eux qui décident de nos destins, de notre bonheur. Il n’y a pas de démocratie, seulement une apparence de démocratie. Quant aux médias, ils sont la propriété des grandes entreprises, des banques. Nous vivons dans un simulacre. Si nous voulons la vraie démocratie, il faut l’inventer.

N. O. - Vous semblez annoncer, dans votre roman, un virage des démocraties vers l’autoritarisme.

J. Saramago. -Je me trompe peut-être. Mais je crois que nous allons, en effet, vivre une nouvelle ère de démocraties plus autoritaires.

N. O. - Vous avez 84 ans. Vous êtes célébré dans le monde entier. Qu’est-ce qui vous pousse à lutter encore pour un monde meilleur?

J. Saramago. -Des millions et des millions, des billions de personnes tiendraient le même discours que moi, si elles le pouvaient. C’est si simple. Si on peut dire ce qu’on croit être vrai, on ne doit pas se taire. C’est une chance extraordinaire de pouvoir s’exprimer par l’écriture. Alors c’est vrai que je pourrais rester chez moi, avec mon prix Nobel, en cultivant mon jardin, métaphorique ou réel. Mais je ne peux pas. Et je ne suis pas un héros. Je suis simplement un citoyen qui parle. Mais parler ne suffit plus. On a peut-être trop parlé. Je crois qu’il est temps maintenant de hurler. De hurler comme les chiens, comme je le dis dans l’épigraphe de mon livre. Avec ma petite voix, c’est ce que je fais. Propos recueillis par Didier Jacob

Didier Jacob

Cet article a été trouvé sur www.bellaciao.org. plus d'information :mguiraud [ate] laposte.net

1 commentaire:

  1. Je ne pige pas vraiment, que propose ce monsieur?Qu'appelle-t-il démocratie? On croirait lire une rédaction d'ado en pleine crise. "l'économie nous manipule", etc. Donc si les gens ne sont pas contents, que faut-il faire? Leur proposer de raser gratis? Le "droit au travail", c'est quoi ça? L'argent pousse donc aux arbres? Et les méchants patrons refusent d'employer parce qu'ils font partie du complot?

    En somme, s'il sait tout mieux que tout le monde :
    - pourquoi ne créé-t-il pas son parti?
    - Pourquoi ne monte-t-il pas sa boîte?

    Qui lui interdit d'entrer dans un parti? D'en créer un? Et qu'est-ce qu'il propose d'ailleurs?

    J'appelle ça la mentalité de consommateur : faut surtout rien faire, rien proposer, et attendre que les autres fassent et proposent (et les critiquer si possible quand ils font ou essaient de faire quelque chose).

    RépondreSupprimer

Messages les plus consultés