Tenir compte des votes Blancs pour moderniser la démocratie
Ce texte a été proposé aux plus grands journaux français, mais la question ne leur a jamais paru d’importance. Serait-ce que les grands partis politiques, qui sont derrière ces journaux, redoutent une mesure qui contrecarrerait leur démagogie et éliminerait des acteurs trop bien en place? L’abstention croissante ou la présence de candidats extrémistes de tous bords, signes d’un rejet du fonctionnement actuel de la démocratie en France, est un sujet de second ordre pour ces médias. Pourtant, la reconnaissance du vote blanc, qui existe ailleurs sous différentes formes, permettrait de rassembler vers la démocratie de nombreux Français.
Et si au second tour des Présidentielles les Français devaient choisir entre Le Pen et la candidate Ségolène Royale ?
Une telle éventualité, nullement irréaliste et qui mettrait à mal l’électorat de la Droite républicaine, est rarement envisagée dans les médias. Sans doute gène-t-elle les grands partis de Gauche et de Droite en soulignant le mal-être de la démocratie en France, pourtant diagnostiquée par de nombreux journalistes, et le détournement de son fonctionnement par les jeux politiciens. L’alternative « Le Pen ou Chirac » en 2002 n’a-t-elle pas pris les médias par surprise et placé les électeurs des Gauches, cette fois-là, dans l’inconfortable obligation de voter à l’encontre de leurs convictions ? Quelle peut être, alors, l’autorité morale et l’assise démocratique d’un président élu à contre cœur par une majorité de votants, seulement pour s’opposer à un autre candidat perçu comme pire ?
Dans l’hypothèse d’un choix entre Ségolène Royale ou Jean-Marie Le Pen en 2007, que feraient les électeurs des Droites ? Qui oserait prévoir ce que serait « le pire » pour eux ? Les plus honnêtes, ceux qui refuseraient une telle alternative, ne seraient-ils pas tentés de s’abstenir... ou de voter blanc ? Ils se trouveraient alors exclus du suffrage dit « universel » du fait que les bulletins blancs, comme les nuls, ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés. Le président ou la présidente risquerait donc, une nouvelle fois, d’être élu(e) comme « le moindre mal » et seulement par une minorité des électeurs.
Une progression inquiétante des abstentions et des votes Blancs
Journalistes et sociologues ne manquent pourtant pas de souligner cette inquiétante dégradation de la démocratie en France. Les Français perçoivent de plus en plus mal leurs hommes politiques et font de moins en moins confiance à l’État, tout en attendant de lui, peut-être faute de mieux, toujours plus d’assistance. Une « démagocratie » tend insidieusement à se substituer à la démocratie. Les politiques en sont conscients puisque Alain Juppé est allé jusqu’à dire, devant ses étudiants québécois : « En France comme au Canada, l’image des hommes politiques est désastreuse. C’est même l’un des métiers qui dans les sondages suscite le plus d’aversion, à égalité avec celui de prostituée (sic) » ! (Le Monde 2 N° 117, 13/05/06, p. 33). Faut-il s’étonner du désintérêt d’une partie croissante des Français pour une démocratie, voire de son rejet par une minorité, s’ils perçoivent celle-ci comme manipulée : 70% d’abstention et 4,9% de votes blancs ou nuls lors du référendum sur le quinquennat ! 2,43% de votes blancs ou nuls et 29,3% d’abstentions au premier tour des présidentielles de 2002 ! Aux législatives, les abstentions étaient déjà passées de 21,5% en 1986 à 32% en 1997 (sources : Assemblée nationale). Faut-il s’étonner par ailleurs de la montée consécutive des votes pour les partis extrémistes de droite ou de gauche et les petits partis « poil à gratter », votes essentiellement « réactionnaires » parce qu’en réaction contre la classe politique dominante ? Pour la prochaine élection présidentielle, les « Primaires » à la française, organisées par les deux principaux partis, si elles sont dans l’intérêt de ceux-ci, donnent le sentiment de verrouiller le choix des électeurs.
La prise en compte du vote Blanc pourtant discrètement examinée à l’Assemblée nationale.
Certains députés sont devenus conscients qu’ils ne pouvaient plus éluder systématiquement la demande insistante des électeurs de comptabiliser les votes blancs. En 1999, un sondage IFOP indiquait que 7% des Français avaient voté Blanc, 13% quelquefois et 16% rarement, soit par refus des candidats en présence, soit par hostilité aux politiques proposées (sources : Assemblée nationale). Au cours des trois dernières législatives, il y eut déjà douze propositions de loi dans ce sens, rarement relayées dans les médias. La dernière, déposée par le député UDF Jean-Pierre Abelin et débattue par la Commission des lois constitutionnelles le 22 janvier 2003, puis délibérée en séance publique le 30 janvier, visait (Article 1) à ce que les maires mettent à la disposition des électeurs autant de bulletins blancs que d’inscrits, (Article 2) à ce que les bulletins blancs « soient décomptés séparément et entrent en compte pour la détermination des suffrages exprimés ». Cela a été voté à l’Assemblée nationale, mais n’a pas été débattu au Sénat, de sorte que la loi, comme beaucoup d’autres en France », ne sera jamais appliquée. Le Parti Blanc (www.partiblanc.fr/) s’en est ému dans les médias, mais ceux-ci n’y firent guère écho.
Les modes d’emploi du vote Blanc
Le bulletin blanc signifie, dans le cas d’un référendum, que l’électeur ne juge pas pertinentes les questions posées ou est en désaccord avec les réponses possibles. Dans le cas d’une élection, c’est le rejet des candidats. Lors de la dernière élection présidentielle française du 21 avril 2002, si la reconnaissance et la comptabilisation des votes blancs avaient été inscrites dans la loi, il n’est pas impossible que ceux-ci eussent été plus nombreux que les votes en faveur de Le Pen ou de Chirac, les deux candidats du second tour. Et l’évolution de la France n’aurait-elle pas été différente ?
Quelles conséquences une loi officialisant la prise en compte des votes Blancs devrait-elle prévoir ?
La logique démocratique et le respect de l’expression populaire impliqueraient d’annuler le référendum ou d’en modifier les questions et, dans le cas d’élections, de reprendre le scrutin avec d’autres candidats. Le renouvellement de la classe politique s’en trouverait accélérée. C’est la raison pour laquelle les élus redoutent et repoussent autant qu’ils le peuvent la reconnaissance du vote Blanc. D’ailleurs, les propositions de loi déposées jusqu’à maintenant n’envisagent qu’une comptabilisation distincte des votes Blancs, sans en tirer les conséquences logiques. Le déplacement vers le bureau de vote de l’électeur, son acte de déposer un bulletin blanc dans l’urne reste donc assimilé à de l’abstention.
Le vote Blanc en Belgique et en Suède
Le vote Blanc est reconnu en Belgique et en Suède. Il est important de préciser comment il fonctionne dans ces deux pays. Si en France le vote n’est pas obligatoire, obligation qui serait incompatible avec la mentalité française, il l’est depuis le XIXe siècle en Belgique. La contrepartie de cette obligation a toujours été associée avec la prise en compte du vote Blanc. Mais l’article 156 du Code électoral sépare les bulletins blancs et nuls du décompte des votes . Ensuite l’article 157 considère comme nuls ou invalides (alinéa 4) : "Ceux qui ne contiennent l’expression d’aucun suffrage". Le résultat est enfin proclamé par un cheminement assez comparable à la France : http://www.elections.fgov.be/pdf/loiwet.pdf. Dans ce mode de scrutin, tout comme ce que prévoient les projets de lois déposés en France, le décompte ne peut influer sur le résultat de la consultation. A tel point que le « Vlaams Blok », l’extrême droite, est le deuxième parti de Flandre, parce qu’il draine, comme Le Pen en France, les votes contestataires. La montée de la misère et des affaires politico financières provoque, en Belgique aussi, une perte de confiance des électeurs. Par ailleurs, de nombreux commentateurs s’accordent pour constater que l’abstention et le vote Blanc ou nul correspondent à des scores comparables à ceux des partis traditionnels. En Belgique, l’obligation de voter n’est donc pas réellement compensée par une totale liberté d’expression de l’électeur, qui impliquerait la possibilité de refuser des candidats et, par voie de conséquence, de les rendre inéligibles, au moins pour quelques années.
En Suède, le problème se pose différemment. On ne parle plus de bulletins blancs, mais on comptabilise ensemble la totalité des bulletins invalides (ou annulés), ce qui inclut les bulletins blancs. Si le nombre de ceux-ci égale ou dépasse celui des autres bulletins, l’élection est annulée et il donc est procédé à un nouveau vote. (Art 25). De ce fait, un bulletin déchiré ou comportant des insultes a la même valeur d’expression qu’un bulletin blanc. Il n’y a pas de conséquences, non plus, pour les élus ayant participé à une élection où plus de 50% des électeurs ont voté blanc.
Engager un débat sur le vote Blanc en France... et ailleurs.
Cinq ans après le séisme qu’a représenté le choix entre Le Pen et Chirac le 21 avril 2002, la prochaine élection présidentielle devrait inciter les responsables politiques français à faire preuve de courage et d’honnêteté en donnant un signe fort d’assainissement de la démocratie en France. Mais quel parti inscrira dans son programme la comptabilisation des bulletins blancs comme suffrages exprimés ? Quand le choix par défaut pourra-t-il être remplacé par un véritable choix d’engagement, c’est-à-dire par un choix « d’action » et non de « réaction » ? Toutefois le malaise de la démocratie ne fait pas partie de « l’exception française », mais touche d’autres pays d’Europe et d’Amérique. En légalisant la reconnaissance et la comptabilisation du vote Blanc, réclamées dans plusieurs pays, la France, qui aime bien se montrer en exemple, pourrait prendre la tête d’un mouvement de modernisation de la démocratie qui finirait bien par se « mondialiser ».
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Patrick Plumet , Professeur honoraire de l’Université du Québec à Montréal.
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